Les conséquences de la faillite de la politique étrangère de la Turquie | Foreign Affairs - Hellenic Edition
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Les conséquences de la faillite de la politique étrangère de la Turquie

La nouvelle politique extérieure était ouvertement volontariste comme le montrent les décisions d’abolition de visas avec de très nombreux pays, particulièrement dans la région (Syrie, Jordanie, Liban), bien que souvent irréfléchies quant à leurs conséquences en matière d’immigration illégale. De même, l’ouverture tous azimuts d’ambassades dans des pays lointains (Angola, Colombie, Madagascar, Tchad) ; le défi lancé pour la première fois à la Chine au sujet des représailles d’Ouïgours dans le Sin-Kiang pourtant une constante de la politique de Beijing ; une présence accrue et visible dans les enceintes internationales (secrétariat général de l’OCI, siège au Conseil de Sécurité de l’ONU durant 2009-2010, nouvelle candidature avortée pour 2015-2016, présidence de l’Assemblée Parlementaire du Conseil d’Europe) et participation aux forces d’interposition ou de maintien de paix dans les opérations de l’ONU et de l’OTAN... témoignent des ambitions régionale et internationale de cette politique.

Le volontarisme et l’avidité se conjuguent à merveille dans ces innombrables initiatives de médiation entre l’Israël et la Syrie, les factions au Liban, les deux factions palestiniennes, les factions sunnites en Iraq, les trois parties bosniaques, l’Afghanistan et le Pakistan, l’Iran et les Etats-Unis, même si aucune (à l’exception éventuellement de celle à l’endroit des factions sunnites en Iraq que le médiateur turc a réussi à convaincre de s’attaquer à Al-Qaida que de s’en prendre aux forces d’occupation américaines) n’ait donné un quelconque résultat tangible.

UNE POLITIQUE QUI ETAIT MALADROITE

Nonobstant ses ambitions et son volontarisme, la politique en question souffrait de nombreuses maladresses. L’exemple parlant en est cette ultra-sensibilité vis-à-vis la tragédie des Palestiniens de Gaza qui finit par donner lieu à un dérapage systématique vers une posture anti-Israël couplée d’antisémitisme, ce qui a sapé par exemple la tentative de médiation entre Israël et la Syrie ainsi que la quête d’un rôle de médiateur entre Hamas et El-Fath.

De nombreux incidents se sont accumulés au cours de ces dernières années pour illustrer la maladresse dont voici quelques exemples:

-les réactions officielles de l’Ambassadeur turc avec ses collègues de pays musulmans après la publication en 2005 des caricatures du prophète Mahomed au Danemark, la participation de la Turquie à une telle action collective constituant une première dans la diplomatie turqu ;

-la visite semi-officielle en 2006 du dirigeant Khaled Mashal, déjà mentionnée;

-la position négationniste annoncée lors d’une visite à Darfour en 2006 du Premier ministre Erdoğan concernant les crimes génocidaires et ses liens privilégiés avec le Président soudanais Omar El-Bashir, persona non grata à travers le monde, jugé pour crime contre l’humanité au Tribunal Pénal International;

-les propos mal accueillis dans la classe politique allemande du Premier ministre lors d’une réunion publique à Cologne en 2008 avec ses concitoyens venus de divers pays d’Europe où il déclare « l’assimilation est un crime contre l’humanité »;

-l’altercation d’Erdoğan lors du Forum économique mondial de Davos en 2009 avec le Président israélien Shimon Pères au sujet de l’opération militaire israélien à Gaza;

-l’opposition à l’élection en 2009 au poste de secrétaire général de l’OTAN du Premier ministre danois Rasmussen pour les positions considérées blasphématoires du gouvernement danois au moment de la crise des caricatures ; in fine le gouvernement turc finit par accepter cette nomination;

-une amitié forte avec l’ancien Président iranien Mahmoud Ahmedinejad et une position ambiguë au sujet du nucléaire militaire de l’Iran tandis que le mouvement de protestation « Mouvement Vert » fût superbement ignoré ; pour couronner cette politique la Turquie vota contre les sanctions proposées en 2010 par le groupe P5+1 au Conseil de Sécurité des Nations-Unies avant de s’y plier plus tard;

-une compétition désuète avec Téhéran dans la région et en particulier en Syrie qui tend les relations bilatérales;

-le grave incident de « Mavi Marmara » où un commando israélien attaqua le navire humanitaire portant ce nom, qui amenait de l’aide à Gaza sous embargo, pour tuer neuf personnes. Le gouvernement turc défiant toute règle en matière de relation entre gouvernements-organisations non-gouvernementales a pris parti au point d’être manipulé par l’ong qui avait monté l’opération d’aide. Cette maladresse a grandement nui à la supériorité morale qui, autrement, découlait de l’attaque meurtrière israélienne dans les eaux internationales;

-sans réfléchir un instant aux conséquences d’ignorer Le Caire lorsque l’on cherche à être influent dans le Moyen Orient Ankara donne une réaction épidermique au coup d’état du général Sisi de 2013 en Egypte qui pousse Le Caire à boycotter Ankara, accusé d’avoir été influent auprès du régime du président destitué Morsi;

-une attitude pro-sunnite manifeste en Irak qui finit par provoquer l’ire de Bagdad;

-la tentation de diversifier ses achats d’armes en entrant en contact avec les Chinois et les Russes (pré-accord d’achat de SS-400) dont les armements sont incompatibles avec ceux de l’OTAN sans qui la Turquie n’a pas de défense propre;

-en novembre 2015 Ankara descend un avion de chasse russe à sa frontière avec la Syrie. Toutes les relations avec Moscou sont gelées au détriment de la Turquie qu’il s’agisse de l’économie ou de la diplomatie.

UNE POLITIQUE QUI IRRITAIT A L’ OUEST